Nous sommes réveillés de bonne heure,
aujourd'hui l'étape sera longue et gourmande en temps .
Le petit déjeuner gentiment mis à notre disposition
par les hospitaliers est prêt sur la table .
Il nous reste à enclencher la cafetière et à avaler.
Nos compagnons bretons se lèvent eux aussi
pour faire leur dernière étape jusqu'à Aumont-Aubrac
et reprendre ensuite le bus pour retrouver leur voiture laissée au Puy.
C'est agréable de pouvoir se gérer chacun comme il le souhaite .
Les pèlerins partent à l'heure qui leur convient
et les hospitaliers dorment plus longtemps.
Au moment de partir,
arrive la Parisienne qui, hier, souffrait déjà d'une tendinite .
Ce matin, elle est incapable d'aller jusqu'au toilette
sans tenir le mur et grimacer de douleur.
C'est évident : elle n'ira pas plus loin.
Ses genoux refusent de se plier.
Pour elle, marathonienne,
qui est allée à New-York, à Paris,
courir et ce plusieurs fois,
c'est une amère déception.
La marche et le marathon ne sont pas comparables .
Ici, nous avons le paquetage à porter
et chaque jour, il faut reprendre l'effort
avec les courbatures de la veille
voire les ampoules et les tendinites.
Elle a mal depuis la descente un peu technique de Saint Privat,
suivie de celle de Rochegude et de la rude remontée pour sortir de Minestrol
tout comme d'autres qui depuis le départ ont abandonné.
Il y a eu tout d'abord une femme qui s'est "fusillé" les pieds
dans les descentes où le chemin est si étroit
qu'on sait rapidement ce que veut dire " mettre un pied devant l'autre"
et si pentu, qu'il vous tassent les orteils au bout de la chaussure .
Les siennes étaient trop petites et le soir, tous ses ongles étaient bleus !
( Il faut prendre toujours une taille au dessus de celle habituelle,
pour laisser de la place au gonflement des pieds en fin de journée)
Puis ce fut Gérard , celui du gite de Saint Privat,
qui est parti en tennis " génériques", un sac à dos d'écolier,
gros pantalon de velours et blouson de ville ...
mal équipé, son sac lui a scié les épaules
et ses tennis mal lacées lui ont occasionné une belle collection d'ampoules
de quoi éclairer Hollywood. .
D'autres n'en sont qu'au stade de se plaindre,
de boitiller et souffrent en silence.
Tout comme Joc....
partie avec un genou en "sursis"
après plusieurs injections et séances de kiné.
Tout comme le grand canadien à la genouillère
qui n'ose plus poser son pied à plat
et qui souffre maintenant des hanches ...
et d'autres encore que l'on voit bandés,
ou se pommadant aux pauses .
Nous quittons Saint Alban au lever du jour,
en prenant le temps de lire les derniers panneaux explicatifs mis en place depuis l'entrée de la ville .
Hier, trop fourbus, nous les avons dédaignés.
Ils expliquent un tas de choses
sur les pèlerins , le chemin de Saint Jacques, l'histoire du pèlerinage .
Des chansons de route y sont aussi retranscrites.
Dommage, il n'y a pas l'air.
Le chemin passe tout d'abord près d' une croix de granit très ancienne .
Nous nous y arrêtons pour la prière du matin .
Direction Grazières et nous rencontrons
les premières vaches Aubrac,
au regard andalou et cerné de noir et à la robe couleur de seigle.
Vaches autrefois chouchoutée par les moines
qui se servait de leur force pour tirer chariots et charrues.
Leur rusticité leur a donné une vocation laitière
et le moine-agriculteur la trayait
et le pèlerin l'admirait
et l'admire toujours sur les estives
tandis que le moine ne la trait plus car il n'est plus éleveur .
Ainsi va le progrès,
les pèlerins passent et les vaches restent .
Puis c'est la montée vers Chabanes-Planes
Le ciel se met à bouder.
On enfile la cape ... quelle horreur,
nous allons transpirer dessous et
nous serons aussi mouillés dedans que dehors .
Le chemin est boueux et glissant .
La semaine dernière, il a neigé par ici.
Les bruyères sont brûlées par la neige restée trop longtemps cet hiver.
La forêt de résineux qui n'avait pas eu le temps de soigner ses cicatrices de la tempête de 1999,
tente d'arranger celles de cet hiver rude que la région vient de passer.
Une curieuse cabane ... est-ce un abri, un jeu ?
Comme nous avons monté, nous redescendons maintenant vers Estrets.
L'église paroissiale est très imbriquée dans les maisons
et il faut chercher l'entrée en haut des marches au fond d'un passage.
C'est l'ancienne maison hospitalière
de l'ordre de Saint Jean de Jérusalem .
Ensuite c'est le Pont des Estrets, l'étroit pont,
où le Seigneur des lieux n'oubliait pas de réclamer un droit de passage .
Déjà au Moyen-Age, le pèlerin pouvait être "une vache à lait",
tout comme maintenant sur d'autres rubriques.
Le chemin emprunte maintenant l'ancienne voie romaine.
La Via Agripa qui reliait Javols à Clermont.
Située à quelques kilomètres d'ici,
Javols était, à l'époque, une splendide et très importante ville,
capitale même des Gabals, habitants du Gévaudan .
Le rêve de Paul est de trouver une pièce romaine .
Aussi a-t-il les yeux rivés sur chaque caillou,
espérant être aussi chanceux que le jour où
au lieu dit La Guerre, tout près de Bernesq,
il avait trouvé une pièce de la guerre de cent ans .
Aumont-Aubrac, nous sommes à l'orée de l' Aubrac,
ce plateau sauvage qui fait rêver tous les pèlerins,
qui hante ceux qui y sont passé,
qui fait noircir beaucoup de papier
sur les guides et récits de voyage ,
qui est en photo dans tous les reportages .
Et nous aussi, nous l'espérons depuis notre départ,
nous le redoutions même un peu
car il avait neigé début Mai ...
Les récits des pèlerins du Moyen-Age
pris dans les bourrasques de neige,
perdus dans l'immensité,
ont fait de l'Aubrac, un mythe .
Mais pas de froid vigoureux à craindre,
juste du vent et de la pluie.
Pour le moment, visitons AUmont-Aubrac .
Passage devant l'office de tourisme
qui occupe l'ancien prieuré d' Aumont ,
puis montée vers l'église romane XIIe .
Une niche abrite une croix pèlerine
dite " Croix d'Oustalet",
oustal = ancre marine
pour dire : "'ancrer votre vie dans le Christ
sinon c'est la dérive."
Un pèlerin est gravé
avec son bâton, sa besace, sa coquille
ce qui permet de l'identifier.
Qui va là ? Dom... rencontré lui aussi à St Privat
et avec qui depuis, chaque jour,
nous échangeons ou nous marchons ensemble.
Pour le moment,
ce sera pique-niquer ensemble
à l'abri d'un contre-fort de l'église car il pleuviote encore.
Nous, nous entrons ensuite dans l'église et Dom...,
quelque peu mécréant comme il se dit lui-même,
nous précède sur le chemin.
Un tout petit moment, nous longeons l'autoroute A75,
parqués comme des bêtes derrière le grillage.
Nos esprits s'envolent vers l' Espagne
où plus d'une fois, nous nous sommes retrouvés
le long de l'autoroute dans le bruit des moteurs.
Parfois presque l'étape entière !.
Ici, ce n'est pas long car un passage souterrain
a été aménagé pour nous éviter d'aller chercher le pont bien plus loin.
Des gars bardés de diplômes, de temps en temps,
pensent et pensent bien !
Le GR reprend la forêt de pins et de sapins .
Pas de grands horizons encore !
A La Chaze-de-Peyre, un four communal
en état de marche ( il fonctionne tous les dimanches)
de grandes batisses aux toits de lauze
et la chapelle Saint Jacques
attirent notre curiosité.
Un tout petit bout de chemin
avec un petit groupe de quatre femmes
qui cherchent la cinquième
et nous atteignons la chapelle de Bastide minuscule sanctuaire .
pas facile à cadrer, bâtie au milieu du carrefour
entourée de poteaux indicateurs
et de plusieurs poteaux électriques,
comme souvent ici .
A croire que la fée électricité étonne encore
et que la mettre en évidence aux yeux de tous
est gage de fierté et de modernisme.
Nous poursuivons notre causette avec les cinq dames:
quatre soeurs entre 60 et 73 ans
et la plus jeune et cinquième,
est la fille de l'une d'elle.
Elles viennent des Ardennes, Paris et l'Ile de France.
Elles font un tronçon de huit jours chaque année.
A Labros, une pancarte encourage les pèlerins :
"Compostelle, bon voyage "
Merci !
d'autres pancartes de pub espacées régulièrement
nous mettent en garde pour ne pas "mourir la soif"
" Chez Régine",
dernier oasis
pour se désaltérer et se restaurer
avant l'Aubrac.
Qu'on se le dise ! Nous arrivons dans le désert !
Nous, c'est là que nous dormirons
sur les conseils de notre hospitalier d'hier soir
car le week-end du 8 mai et son flux de marcheurs
venu pour ces trois jours,
engorge les gîtes d'Aumont-Aubrac .
Les cinq dames vont plus loin
car le transporteur qui livre leurs sacs,
lui, est en cheville avec les chambres d'hôtes situées un peu après.
Devant l'état de propreté du bistrot et de la cour-terrasse,
elles s' inquiètent de savoir si vraiment
nous restons là .
Et oui, on verra bien!
Régine, une figure du chemin,
J..., nous en avait parlé hier,
car il est déjà venu ici faisant le chemin à pied
et en voiture avec sa femme.
Je ne dirais pas comme certains,
qu'elle n'a plus d'âge...
Elle est un compremis entre la chanteuse Régine
à qui elle emprunte la coiffure et le rouge à lèvres
et Edith Piaf à qui elle emprunte
la voix de Titi Parisienne
et même ses chansons
car voyez-vous,
parfois elle chante !
Des maximes, des proverbes, des pensées,
des photos des célébrités qui sont passées là
couvrent les murs.
Elle est en photo avec Raffarin en short, sac au dos,
elle a vu Patrick Poivre d'Arvor, Bernard Tapie
qui lui, a pris une cuite
mais elle a eu soin de le faire payer au fur et à mesure !
Pas folle, la Régine,
elle aime les sous.
Mais on peut s'interroger sur ce qu'elle en fait
car tout est de bric et de broc,
la cuiisine, le bistrot, la salle de restaurant,
les lits et les douches ... et dehors le bazar !
S'arrêteront ici, Joc... et Jac..., avec qui nous cheminons depuis St Privat
et M-Cl .
Se joignent à nous deux femmes venues randonner pour le pont du 8 Mai.
La cigarette au bec, elle nous servira le dîner
potage clairet, macédoine- oeufs durs noyés dans la mayonnaise,
rôti de porc froid, très froid depuis plusieurs jours,
haricots bien beurrés , un sublime " laguiole"
ou fromage d' Aubrac parfumé et crémeux à souhait
comme je l'aime et une pomme ridée du jardin.
Le repas est animé : Régine fait son numéro
et nous rions de ses propos.
Elle n'est jamais allée à Compostelle,
mais elle connait le chemin aussi bien que les pèlerins.
Elle répond à toutes les questions qu'entre eux
ils se posent sur la suite des étapes .
Elle possède une Compostella,
le diplôme remis aux jacquets quand ils arrivent à Compostelle.
Il lui a été envoyé par un pèlerin qui l'a bricolé à son nom.
Elle en a réconforté et soigné plus d'un
Elle a du coeur, ses têtes aussi .
Elle est capable de mettre quelqu'un dehors
si ça ne lui plait pas
ou de pousser les murs
pour lui trouver un lit si ça lui chante.
Comme d'autres personnes du chemin,
Jeanine à St Jean Pied de Port,
Flavio à St Palais,
Régine est connue dans le monde entier
et sa photo circule.
En tout cas , nous avons tous passé une bonne soirée,
bien ri, bien déliré
et même si c'est cra-cra,
ce bistrot et sa tenancière sont bien sympathiques
et atypiques .